Karim Malak est un expert de l’hôtellerie et du Revenue Management, en témoigne sa carrière dans le domaine. Aujourd’hui Directeur Général chez easyHotel, Il a occupé ce même poste chez Adagio pendant 5 ans et a également fondé Mereo il y a 20 ans !!
Dans cet entretien, il nous en dit un peu plus sur lui, sa carrière et sa nouvelle mission chez easyHotel. Il nous partage également sa vision du secteur hôtelier, analyse les pratiques RM et nous donne ses conseils pour les enrichir.
Mereo : Karim Malak, qui es-tu ?
Karim Malak : Je suis un drôle de mix. Je suis un ingénieur qui est très orienté client. Je suis à la fois Français, Britannique et Indien. Je suis à fond sur la data de manière générale, mais aussi attaché à une méthodologie plus inductive et pas seulement déductive. Je suis un peu un touche-à-tout !
Mereo : Est-ce que tu as des passions dans la vie ? Qu’est-ce qui t’anime au quotidien ?
Karim Malak : Quand mes enfants me laissent du temps, j’aime cuisiner. J’aime aussi apprendre des conversations avec les gens, être confronté à des points de vue ou des univers différents. C’est pour cela que je me suis retrouvé dans le tourisme, j’imagine. Je pratique également le triathlon et quand je visite une nouvelle ville, j’apprécie la découvrir en joggant.
Mereo : Est-ce que tu peux revenir un petit peu sur ta carrière, les éléments qui t’ont marqué ?
Karim Malak : Quand j’étais petit, j’étais passionné par l’informatique, les mathématiques, la physique. Un vrai nerd ! J’ai fait une école d’ingénieur avec option informatique dans l’objectif de travailler dans l’intelligence artificielle et le data mining. Puis de l’informatique je suis passé au Revenue Management (RM) parce qu’il y avait beaucoup d’algorithmique, et finalement du RM au tourisme. Aujourd’hui j’en suis à ma deuxième expérience de Directeur général dans l’hôtellerie.
Quand j’y pense, il y a finalement beaucoup de choses qui m’ont amené à travailler dans le tourisme et dans l’hôtellerie. Dans les dix premières années de ma vie, j’ai déménagé cinq fois dans trois pays différents. Ce n’est donc pas étonnant que je sois dans le tourisme. Ce qui est plus étonnant c’est que je sois à un poste de Directeur Général alors qu’au départ je suis plutôt un geek et un technicien.
Mereo : Concernant ce nouveau poste de Directeur Général, chez easyHotel. Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur le groupe et sur ses objectifs ?
Karim Malak : Le groupe comporte actuellement 43 hôtels dans 11 pays. L’objectif est d’arriver à une centaine d’hôtels en 2027 et de devenir le leader des hôtels abordables et bas carbone en Europe. Nous voulons inventer un nouveau type de produit pratique, ergonomique, confortable, bas carbone tout en optimisant l’équation immobilière. Notre intention est d’éviter d’être lifestyle, ou luxe, pour être au contraire vraiment sobre, et considérer que la destination n’est pas l’hôtel mais la ville. Nous souhaitons pousser nos clients à aller découvrir la ville, prendre leurs petits-déjeuners en ville, trouver des salles de conférence et des loisirs en ville. Le contraire de tout un segment de l’hôtellerie. D’ailleurs, si on regarde les chiffres, pendant et après le Covid, l’hôtellerie dite « abordable » s’en est beaucoup mieux sortie que beaucoup d’autres segments hôteliers.
easyHotel partage l’ADN d’easyJet, c’est-à-dire inventer une nouvelle manière de voyager, une manière optimale en termes de prix mais aussi en termes d’émissions carbone par km parcouru. easyJet a utilisé des avions neufs pour faire du RM agressif et avoir un taux d’occupation important, et finalement c’est une manière très efficace de voyager à tout point de vue. Ils sont devenus en l’espace de 25 ans la deuxième plus grosse compagnie dans de nombreux aéroports européens. Je ne sais pas si nous serons la 2ème plus grosse chaine d’hôtels en Europe dans 25 ans mais quand on voit l’espace à prendre et le succès de l’entreprise à l’international je pense qu’il y vraiment du potentiel.
Mereo : Qu’est-ce qui t’a attiré dans cette nouvelle aventure ?
Karim Malak : La logique et le positionnement. Je suis intéressé à ce qu’on donne accès au voyage intelligent et frugal au plus grand nombre. Le fait d’offrir les meilleurs basiques possibles au meilleur prix va nous permettre de parler à différentes clientèles. Nous allons attirer à la fois des personnes qui sont très sensibles au prix mais aussi toutes celles qui veulent faire un choix malin : “j’ai envie de découvrir une ville mais je n’ai pas envie de dépenser tout mon argent et de passer tout mon temps dans mon hôtel, je préfère donc aller chez easyHotel et manger dans un excellent restaurant avec une bonne atmosphère en ville”. Ce qui m’intéresse également dans cette mission, c’est d’utiliser le moins de matériaux possible et de design superfétatoire. On n’a pas besoin de mettre des vélos sur les murs, les vélos c’est pour rouler pas pour être accrochés aux murs ! Nous nous inscrivons vraiment dans cette tendance-là, de frugalité intelligente, de sobriété.
La deuxième raison tient à la forte ambition de développement de l’entreprise à l’international. C’était également ma mission chez Adagio pendant 5 ans lorsque j’occupais le poste de Directeur Général.
Mereo : A quels types de challenges fais-tu face depuis ton arrivée dans le groupe ?
Karim Malak : Les challenges il n’y a que ça ! Tout d’abord, le fait d’arriver depuis la France sur une structure essentiellement Anglaise. Travailler dans un contexte avec des personnes de différentes nationalités et cultures est toujours un défi à relever.
D’un point de vue marketing, il y a un challenge spécifique en France car le low cost y a mauvaise réputation. Pour moi c’est tout le contraire, je trouve ça fantastique de pouvoir faire de la qualité à bas prix et c’est quelque chose dont nous devrions être fiers.
Enfin, il y a un défi d’un point de vue développement, avec des entreprises très agressives dans leurs investissements. Bien qu’elles évangélisent le marché en France, permettant à tout le monde de se rendre compte de la valeur qu’il y a à investir dans des hôtels “budget”, elles accentuent aussi la concurrence sur les différents deals que nous voulons faire.
Mereo : Le marché de l’hôtellerie a été assez malmené ces deux dernières années, est ce que tu penses qu’il est en train de renaître sous une autre forme, qu’il est en train de vivre de profondes transformations ? Comment penses-tu qu’il va évoluer ?
Karim Malak : Je pense que le marché de l’hôtellerie est beaucoup moins chamboulé que ce que l’on aurait pu penser. La demande, même si elle repart à la hausse, est assez volatile et reste fortement impactée par des facteurs comme les changements géopolitiques. Il est donc normal que cette industrie connaisse des hauts et des bas. C’est le lot du tourisme. Néanmoins, au regard de tout ce que nous traversons (attentats, crises géopolitiques et sanitaire), elle n’est pas si chamboulé.
Les vrais changements n’ont finalement pas grand-chose à voir avec le Covid. Le premier, si on analyse au niveau global, est l’émergence des classes moyennes chinoises et indiennes. On ne sait toujours pas comment cela va transformer l’industrie en termes de destination, d’infrastructures, de services. Un exemple concret : « combien y a-t-il d’hôtels moyenne gamme à Paris qui servent des petits déjeuners qui sont adaptés à la clientèle chinoise ? » Finalement il n’y en a pas beaucoup à part dans le luxe. Ce sont des choses dont on parle peu mais il y a des centaines de millions de personnes qui vont voyager depuis l’Inde et la Chine.
Le deuxième point, c’est la transformation écologique. L’industrie s’est beaucoup cachée en plantant des arbres sans regarder l’ensemble de l’équation carbone du voyage. Sachant que 80 % des émissions de carbone dans l’hôtellerie proviennent de la construction du bâtiment lui-même, optimiser les surfaces est essentiel. Utiliser moins de béton au profit de bois ou de matériaux recyclés aussi.
Troisième point : j’ai l’impression que les hôtels doivent chercher un positionnement plus précis, qu’on ne peut pas vendre un “one size fits all” et que les clients cherchent des hôtels qui soient vraiment budget, réellement lifestyle, ou véritablement luxe. Ceux qui sont coincés au milieu, et en particulier l’hôtellerie moyenne gamme, ont plus de difficultés.
Mereo : Et si on se concentre sur les pratiques de Revenue Management, est-ce que tu sens une transformation soit en termes de techniques, d’outils, d’indicateurs ? Est-ce que le métier est un peu en train d’évoluer ?
Karim Malak : Il y a deux choses un peu contradictoires. D’une part, l’extrême volatilité fait que les historiques sont de piètre qualité et ne peuvent être exploités tel quels. A cela s’ajoutent des changements de marques et de systèmes de distribution (le fait que les OTA soient passés de 0 à 60% de la distribution des hôtels change pas mal la donne en termes de montée en charge). Partant de ce constat, on voit que le facteur humain est assez important. D’autre part, on assiste à la montée de techniques d’intelligences artificielles liées à l’augmentation de la puissance de calcul avec comme tendance de fond de gérer le même nombre d’hôtels avec moins de Revenue Managers : avoir 80% des dates de la montée en charge qui soient gérées automatiquement et 20% qui soient gérées par des Revenue Managers.
Si on regarde un autre point, il y a beaucoup de systèmes de RM qui sont vraiment focalisés sur les données internes de l’hôtel alors qu’on peut prendre en compte de plus en plus de données externes : la concurrence évidemment, mais également les prix dans l’aérien ou la montée en charge d’autres segments du marché du tourisme. L’enjeu est d’utiliser l’ensemble des informations externes, la météo, les prévisions météo, etc. pour réussir à faire du meilleur RM.
Mereo : Est-ce que tu aurais un conseil à donner aux Revenue Managers qui lisent cet article ?
Karim Malak : Toujours continuer à apprendre au fur et à mesure. J’ai commencé ma carrière quand il n’y avait aucune formation en RM, quand tout le monde apprenait sur le tas. Maintenant c’est le contraire, il y a beaucoup de formations en RM mais elles sont un peu figées. Donc mon premier conseil serait de continuer à apprendre, à se renseigner sur ce qui existe dans d’autres secteurs, d’autres outils, et ne pas de se laisser emprisonner dans une méthodologie trop standardisée.
Mon deuxième conseil serait d’être un peu plus scientifique, c’est-à-dire de faire un peu plus d’essais/erreurs. Je suis toujours étonné quand je vois des RM qui se fient à leur intuition. Pourquoi pas, mais ce qu’ils oublient c’est la deuxième partie : voir quelles hypothèses ils ont utilisées, quels résultats ils ont obtenus et en fonction de ça répéter ou non l’expérience sur les prochaines décisions qu’ils vont prendre. Évidemment, il y a tellement de facteurs à prendre en compte qu’il est difficile de faire de l’expérimentation avec des valeurs témoins. Cela étant, appliquer de bonnes pratiques comme noter quelles étaient les conditions, quelles étaient les hypothèses retenues et pourquoi on a pris cette décision, reste je pense très valable.